Vers l'Inconnu

Il y a des univers si proches et si lointains qu'une vie n'est pas de trop pour les explorer et savoir les regarder. Nous pouvons a l'ère des nouvelles technologies avoir (parfois) même la chance de partager quelque chose de nos univers. Ce blog fera, j'espère, office de navette spatiale.



samedi 27 mars 2010

Quand metteur en scène et scénographe travaillent ensemble l'exemple réussi de "Je lis"


Le titre résonne comme un cri : "Je lis". La langue orale, un peu brute de la pièce nous plonge dans ce cri épuisant, passionné de ceux qui se battent pour vivre, qui émigrent pour avoir une meilleure vie et la réussir. Cette vie, qui ressemble à tant d'autres vie d'immigrés, c'est celle d'Agota Kristof.

Le spectacle se base sur le texte de l'Analphabète, texte autobiographique, court, qui raconte la jeunesse d'Agota Kristof en Hongrie et sa fuite, en 1956, suite au débarquement meurtrier des troupes russes. Elle fuit à pied la Hongrie avec son bébé et son mari vers la Suisse. S'ensuit les difficultés et les peurs de tous réfugiés. Agota se retrouve plongée dans les méandres de son pays et de sa langue d'accueil. Langue française qu'elle appellera "langue ennemie" car elle se retrouve exclue, analphabète, à plus de vingt ans mais elle mobilisera toute son énergie pour apprendre cette langue et réapprendre à lire.

Nous pouvons retrouver la langue incisive, un peu noire d'Agota Kristof. Son regard qui ne fait pas de cadeau sur les hommes qui l'entourent mais dans le même temps qui ne jugent pas. Par exemple, après un portrait peu flatteur de sa mère, on pourrait l'entendre dire: "c'est la vie", c'est comme ça".

La pièce , nous dévoile des sentiments et des anecdotes puissants. L'interprétation du personnage d'Agota Kristof par plusieurs actrices donne à la mise en scène une dynamique renouvelée. Chaque actrice nous emmène dans un nouveau chapitre de sa vie.
Ces quatres actrices jouent aussi chaque personnage, les costumes habillent ces personnages habilement, détaillant des tableaux au public, cela rend la pièce bien compréhensive mais aussi touchante.
Nous avons l'impression d'être plus que des spectateurs parce qu'on nous parle, parce qu'on nous montre, qu'on nous distribue du chocolat au moment de l'arrivée d'Agota Kristof en Autriche, à la période de Noël.

J'ai utilisé l'adjectif "compréhensive", pour parler de la pièce, parce que cette pièce s'adresse à un public apprenant le français.
Au début cette pièce était destinée aux primo-arrivants et aux élèves apprenant le français à Bruxelles, c'est pourquoi des images sont plus que suggérées et des "techniques clowns" sont employées. On surjoue parfois, on montre les choses. Par exemple, lorsque la dictature est abordée un morceau de tissu rouge sur les vêtements rend compte de cette situation.
Il y avait donc une véritable finesse pour parler de sujets très durs.
Ce moment était un vrai bonheur pour les élèves (élèves de classes FLE, français langue étrangère) car la problématique les touchait directement. La dictature russe, communiste en Hongrie, les années de peur et d'obéissance au régime. Un de mes élèves a réussi à ramasser au vol une photo de staline lancée depuis la scène par les actrices, il s'en est rapidement débarassé même si cette photo l'a fait énormément rire, lui et ses camarades de classe.

Aussi quand Agota Kristof se met à faire référence à la langue tzigane et rappellent certaine discrimination qui avait lieu en Hongrie à son époque, des murmures ont parcouru la salle, des petits ricanements.
Le mot "tsigane" chez les élèves résonnent comme un mot tabou, connoté. Ils n'ont peut-être cette fois-ci pas exactement compris toute les paroles concernant les tsiganes mais on en a parlé sur scène et cette problématique est assez compliquée et dérangeante pour que je me sente reconnaissante envers la troupe d'avoir gardé ce passage et d'avoir, tout simplement, abordé le sujet.

En effet, cette pièce et son interprétation donne énormément de pistes de discussion.
La place et le rôle de la femme dans la société par exemple. On voit, en effet, Agota Kristof critiquée enfant parce qu'elle lit, activité bien entendu, totalement inutile pour une fille selon les femmes de son village.
La dictature, la discrimination, l'exil, le travail en usine, l'immigration, la langue, l'intégration sont autant de sujets riches qu'on a pu retrouver sur scène...
Il y a des passages d'une grande finesse quand par exemple, les exilés hongrois sont accueuillis. On prend leurs vêtements et leurs bagages avec précaution de peur de... d'être infectés peut-être? On les douche ensemble et les réfugiés ont peur d'être dans un nouveau camp de la mort. L'histoire des camps n'est pas si loin en 56. Mais ce qui est intéressant est le regard de l'un sur l'autre. Le regard croisé du migrant et de l'hôte, regard qu'AgotaKristof échange un instant lorsqu'elle apprend la traversée des frontières par une famille turque. Elle regarde en étant du côté des hôtes puis elle se rappelle et c'est là que le récit de l'exil se dévoile.

De manière générale une très bonne pièce menée avec succès par une équipe engagée et soudée.
Ca valait la peine d'en parler!

vendredi 29 janvier 2010

L'adolescence


J'aimerais parler un peu de mon métier. Plus exactement des élèves que je rencontre dans mes classes. Ces jeunes qui me font sourire, pester.
Ces jeunes qui m'épatent et parfois affolent mes repères.
Chose assez étonnante, ici en Hongrie les élèves marchandent leurs notes. Notes qui se comptent sur les doigts de la main, de 1 á 5.
Moi, jeune prof naïve, je pensais qu'une note permettait de s'auto-évaluer, de se rendre compte d'où étaient planquées nos forces et nos faiblesses.
De plus élevée, éduquée, formée dans un système français où on vise la
perfection avec le fameux 20, le 5 me semblait une limite infranchissable en langue pour mes élèves et ils leurs semblaient que j'étais une
ingrate qui ne reconnaissait pas leurs efforts en ne leur mettant pas le fameux 5.
Les notes "signifient" en effet quelque chose pour eux. Elles les jugent au delà de leurs capacités á réaliser leurs exercices.
Les notes les classent automatiquement en "mauvais", en "échec" ou en
"sauvés", en "règle".
Une élève de 12 ème, d'environ 18 ans m'a dit: "je ne peux pas avoir
3 en français, je suis dans une classe bilingue, 3 c'est mauvais."
En sachant que mathématiquement, elle se trouvait plus du coté positif de la moyenne, j'ai été déconcertée. Sa note équivalait pour moi á un niveau en langue assez correcte.
Autre chose étonnante, je n'aurais jamais imaginé être autant marquée
par le sceau de "l'adulte". C'est la première fois que je me suis autant sentie adulte et responsable. Responsable, de quelque chose de plus fort que la sécurité physique d'une personne. Je me sens responsable d'une transmission sociale, culturelle et finalement humaine. Je forme, peut-etre même formate, sans vouloir être orgueilleuse ou mégalomane, de l'humain. Ces humains qui dés maintenant prennent en charge le monde dans lequel ils vivent.
Cette image d'adulte m'est renvoyée lorsque j'entre en scène ( dans la salle), les élèves se lèvent automatiquement et ils me servent aussi un fervent "Csokolom"quand ils me croisent dans les couloirs (ce qui est l'équivalent verbal du baise main).
J'avais sous estimé les conséquences de mon statut de prof-adulte et de sa
charge de lourdeurs éducatives: dialogues conflictuels, provocations, jeux de mots débiles, régression instantanée en cas de désaccord...
Et ça, c'est le plus perturbant, en un cours, les élèves -tient c'est bizarre- comme les idoles de leur série, roman et film peuvent vampiriser toute l'énergie du prof. Tu as beau siffler entre tes dents "pchhhht", essayer des
vannes au pouvoir super paralysant ou des menaces exécutées, l'énergie
dévastatrice et non coopérative de 5 élèves auront toujours le dessus.
Moi qui rêvais d'un bordel organisé.
Mais le bordel organisé existe et fonctionne plutôt bien avec des classes qui ne se sont pas, á mon avis, encore frottées á des profs trop autoritaires et stérilisateurs de liberté. De mon point de vue, ces élèves ont eu la chance de tomber sur des profs qui ont sus faire preuve de justesse et qui les ont amenés á réfléchir sur les règles données.
Dans les deux types de classe, il y a souvent des remarques adolescentes qui me font sourire intérieurement et je leur souhaite de garder le plus longtemps cet état d'esprit. Comme par exemple la remarque d'Anna-Maria, 17 ans, classe de 11 ème, sur une affiche politique á propos de
la nationalisation en Suisse: " C'est complètement raciste! Tous les hommes sont pareils. Les Suisses sont racistes?".
Plein de raccourcis, plein de vie, plein d'idées et d'émotions.
Même s'ils font chier (c'est leur rôle non?): Longue vie aux adolescents de Hongrie et d'ailleurs!!!
L'adolescence
C'est un coin d'herbes folles, de bleuets, de chiendent,
Blotti entre la jungle infernale des grands
Et le petit jardin tranquille de l'Enfance,
C'est une île inconnue de vos cartes adultes,
Un lagon épargné, une prairie inculte,
Une lande battue où les korrigans dansent, L'Adolescence...
C'est l'échelle de soie, c'est Juliette entrevue, Debout dans le miroir c'est la cousine nue
Qui s'émerveille et crie au fond de mon silence, C'est un baiser volé à la barbe du Temps,
C'est deux enfants qui s'aiment à l'ombre d'un
cadran
Où sous chaque seconde l'Immortalité danse, L'Adolescence...
C'est "Toujours", c'est "Jamais", c'est éternellement
Le coeur au bord des lèvres, le spleen à fleur de dents
Et au ventre-volcan l'Amour-incandescence,
C'est "Je t'aime: on se tient!" c'est "Je t'aime: on se tue!"
C'est la Vallée d'la Mort de l'autr' côté d'la rue,
Vers les noirs pâturages la haute transhumance, L'Adolescence...
C'est les poings dans les poches fermés à double tour,
C'est "Familles, je vous hais!", c'est René à Combourg,
Ophélie qui se noie, c'est Lucile qui s'avance,
C'est notre Diable au corps, c'est le Grand Meaulnes en route,
C'est ce vieux Bateau Ivre qui reviendra sans doute
Les flancs chargés d'oiseaux, de fleurs et d'innocence,
L'Adolescence...
Depuis plus de vingt ans que j'y ai jeté l'ancre
Dans ce pays de fous, de chiens tièdes et de cancres,
Depuis plus de vingt ans j'y passe mes vacances,
Et comme ce vieillard de quatre-vingts printemps Qui s'endort, un beau soir, et qu'on couche dedans Son petit, tout petit coin de terre de Provence, Couchez-moi, je vous prie, quand viendra le moment,
Dans ma terre, mon pays, couchez-moi doucement En Adolescence, en Adolescence!
paroles de Tachan